L'AFFAIRE GIBEAULT


L'année 1944 commence sous le signe d'une répression impitoyable de la Résistance. L'appareil policier allemand, assisté et même devancé par les organismes français engagés dans la voie d'une collabo- ration active avec l'occupant, fait que la vie de la Résistance devient un parcours de plus en plus périlleux et jalonné de pièges ouverts sur la mort, la torture et la déportation. Pour ce qui est des réseaux Delbo-Phénix et Zéro-France, les menaces pressenties vont devenir terriblement concrètes.

Jean Depraetere, alias Georges ou Taylor, a reçu l'ordre de confier, pour un temps, le courrier à un service français d'évacuation par air, aucune opération de pick up n'étant prévue en janvier 1944. Après le mail pick up de Périgné qui a marqué, en février 1944, la reprise en charge du courrier, une opération de parachutage est annoncée qui, faute de pouvoir encore utiliser la base en création à Tours, est réalisée à Chaban près de Niort. Taylor, Keeper, Petit Louis, André Airault, André Bellot et son fils chez qui habite le radio Keeper -participent à la réception des containers dont une partie est destinée au PCC et est transportée à Paris au fur et à mesure des possibilités. A cette même époque, le pressentiment qu’Émile Delannoy – Delbo- a exprimé dans un rapport établi après l'affaire des archives saisies par les Allemands, et dans lequel il avançait l'hypothèse « qu' il semblerait que les Boches attendent qu'une tête se reforme pour frapper à nouveau », va se réaliser ».

C'est dans le réseau Zéro-France que la tentative de noyautage se déroule, ce qui n'excluait pas Delbo-Phénix de la manœuvre, ces deux réseaux étant en communication permanente, et à Niort de façon toute particulière.

LE DRAME DU 21 FEVRIER


Le 21 février 1944, vers 21 heures, une rencontre a lieu dans le bureau situé derrière le magasin de radio et de photographies tenu, 6 rue des Cordeliers à Niort, par Georges et Jeanne Gibeault. Cette rencontre, qui n'avait pas été prévue, rassemble Georges Gibeault, Jean Hoyoux (Rider), radio de Zéro-France, Maurice Tournerit, agent technique du Service des Carburants aux Ponts et Chaussées de Niort, et un nommé Pierre Robert Lambert alias Ledanseur, Français travaillant pour le compte de la Sipo, rue Lauriston à Paris, ce que personne, bien entendu, ne soupçonne, 
 
C'est en revenant de faire une émission de la ferme Barbotin, à la Grenouillère de Coulon, route de la Garette, que Georges Gibeault, après avoir rangé le tricycle qui sert à ses déplacements, rencontre, à la porte de son magasin, Maurice Tournerit qui veut lui parler en compagnie de Lambert. Georges Gibeault qui connaît Tournerit et sait ses opinions, les fait entrer, sans se méfier, dans son bureau derrière le magasin. Pendant ce temps, et dès leur retour, Jean Hoyoux va remettre son matériel radio au premier étage et déposer son arme sur une cheminée.

Maurice Tournerit a été mis en contact avec Lambert par l'intermédiaire d'un de ses collègues de Poitiers. Dans cette ville, Lambert, prétendant avoir été parachuté et, n'ayant pas trouvé les contacts prévus, était censé rechercher un moyen de regagner l'Angleterre. Il entre alors en contact avec un nommé Martin qu'il sait proche des milieux de la Résistance en lui donnent la phrase convenue.
Arrivé à Niort il est adressé à Tournerit. Ce dernier, accompagné de Lambert, vient d'abord voir Louis Michaud au parc autos des Ponts et Chaussées, car des bruits courent que celui-ci s'occupe du passage vers l'Espagne de prisonniers et de réfractaires.

Louis Michaud répond qu'il n'a aucune activité de ce genre et qu'il ne connaît personne. Tournerit, toujours sans méfiance, décide alors de contacter Georges Gibeault. Lorsque celui-ci fait entrer et asseoir Maurice Tournerit et Lambert, il demande à Jean Hoyoux, qui est au premier étage, de descendre.

A ce moment là, outre les protagonistes évoqués, sont présents dans la maison : Jeanne Gibeault, femme de Georges, Adèle Thebault, de Mougon, employée des Gibeault et André Aimé. Aimé travaille  et au parc autos de la ville de Niort et a un violon d’Ingres qui est la radio. Le soir, en sortant de son travail, il va souvent chez Georges Gibeault pour bricoler sur des postes. L'atelier radio se trouve au sous-sol, vers le fond de la maison, derrière la cave qui est, de même que le laboratoire photos, en bordure de la rue des Cordeliers et ouvre sur celle-ci par une trappe. Ce soir là, André Aimé, arrivé vers 18 heures, se trouve dans l'atelier de radio. Les deux jeunes filles qui travaillent au laboratoire photos sont absentes, le magasin étant fermé le lundi.

Jean Hoyoux descend donc à l'appel de Georges Gibeault, sans savoir que celui-ci n'est pas seul, et c'est en ouvrant la porte du bureau qu'il découvre les personnes présentes. Celles-ci sont assises et Georges Gibeault parle avec elles. En le voyant arriver celui-ci se lève et le présente aux visiteurs. Puis, il donne sa chaise à Jean Hoyoux, et se dirige vers l'entrée de la cave pour y prendre une bouteille de vin qu'il pense ouvrir à la fin de l'entrevue.

Il reste donc dans le bureau Jean Hoyoux, Maurice Tournerit et Lambert. Maurice Tournerit expose le but de la visite qui se résume à ceci: Lambert vient d'être parachuté et, n'ayant pas trouvé ses contacts, veut rencontrer Georges et Petit Louis pour que ceux-ci lui conseillent un terrain d'où il pourrait repartir. Or, il se trouve que Georges et Petit Louis sont soi-disant absents. Aussi Maurice Tournerit a-t-il pris la liberté de contacter Georges Gibeault pour que ce dernier le mette en rapport avec Jean Hoyoux.
 
Dès que Maurice Tournerit a exposé le motif de la rencontre, Jean Hoyoux comprend que quelque chose ne cadre pas. Jusqu'à ce moment, Lambert n'a prononcé aucune parole en dehors de quelques futilités et n'a apporté aucune précision à l'exposé de Tournerit. Jean Hoyoux, qui est un professionnel du renseignement, sait que Londres ne parachute pas un agent devant contacter un réseau sans que celui-ci en ait été avisé. Or Tournerit a précisé que c'est Georges et Petit Louis que Lambert veut rencontrer, c'est à dire des membres d'un autre réseau que le sien, Zéro-France. Hoyoux n'a pas vu Georges depuis quelques jours et ne peut s'assurer de la crédibilité de Lambert qu'en lui posant quelques questions, sans toutefois en avoir l’air.

Jean Hoyoux demande donc à Lambert si son parachutage s'est bien passé et s'il y a longtemps que celui-ci a lieu. La réponse que Lambert fait, sans aucune hésitation, conforte Jean Hoyoux dans ses doutes car la date annoncée se situe dans une période de nuit sans lune, période que la Royal Air Force évite pour ce genre d'opération, Lambert comprend, au temps de réflexion de Rider ou à l'expression de son visage que son jeu est démasqué. A présent, tout doit aller très vite.

Hoyoux sort alors de sa poche un stylographe dissimulant un gaz asphyxiant pour neutraliser l'agent au service des Allemands. Mais l'effet attendu ne se produit pas, ce qui permet à Lambert de retourner la situation à son avantage. Assis à la droite de Tournerit, il fait presque face à Jean Hoyoux, lui-même assis devant le bureau. Vêtu d'une canadienne en grosse toile verdâtre avec un col de fourrure, très protectrice et gardant ses mains dans les poches de cette canadienne, Lambert tire alors sans hésiter avec un revolver à barillet à travers la poche de son vêtement, sur Jean Hoyoux, en criant: « Tiens, sale Anglais ». Comme Lambert est bien calé sur sa chaise il n'a aucun mal à le toucher superficiellement au bras gauche.
 
A ce moment, Maurice Tournerit assis entre Jean Hoyoux et Lambert, légèrement à gauche de ce dernier, n'ayant apparemment pas compris ce qui se passe, se lève en criant: «Arrêtez, vous êtes fous ! », et reçoit à cet instant une balle dans le cou, touchant probablement la carotide, et le blessant mortellement. Il a cependant la force de sortir de la pièce et de gravir les marches de l'escalier conduisant au premier étage ou il s'effondre, mourant, sur le palier, aux pieds d'Adèle Thebault venue de la cuisine aux bruits feu.

A ces mêmes bruits, Georges Gibeault revient de la cave et réapparaît dans l'ouverture de la porte du bureau. Jean Hoyoux, tout en se précipitant sur Lambert, crie à Gibeault de monter chercher son pistolet. Cependant, coup sur coup, Lambert vide son barillet sur Rider, le touchant légèrement au cuir chevelu et au niveau du tibia. Une autre balle est arrêtée par son portefeuille, dans lequel elle est retrouvée, alors qu'une dernière pénètre à la base du poumon gauche.

Pendant la lutte entre Hoyoux et Lambert, Georges Gibeault redescend avec l'arme. Lambert, son barillet vide, se détache alors de Rider et se précipite vers la porte de la rue qu'il a de la peine à ouvrit. C'est à ce moment que Jean Hoyoux en possession de son arme, mais déjà gravement blessé et se sentant défaillir, fait feu sur Lambert qui est touché superficiellement. Rider s'écroule mais se souvient cependant d'avoir dit à Georges Gibeault d'achever Lambert. Georges dit à Gibeault interpelle sa femme en lui disant: «Appelle Aimé pour qu'il lui ferme sa gueule ! » En effet, Lambert s'accroche à la porte, en essayant de l'ouvrir pour appeler au secours. Georges Gibeault demande également à sa femme d'aller téléphoner au bar du Temple, tenu par Madame Renaud, à environ 30 mètres vers la place du même nom.

Sur ces entrefaites, André Aimé arrive et, avec Georges Gibeault, traîne Lambert vers l'escalier de la cave en le tenant à la gorge. Gibeault dit à Aimé : «Va à la cave chercher le maillet!», pendant qu'il tape sur la tête de Lambert avec la crosse de son pistolet, un 6/35 non chargé.

Aimé descend chercher le maillet mais, ne le trouvant pas, remonte aussitôt. Il voit alors Lambert s'arque bouter au montant de la porte de la cave que Gibeault tente de lui faire franchir. Georges Gibeault renvoie Aimé chercher le maillet et celui-ci ne le trouvant toujours pas, remonte avec un morceau de bois au moyen duquel il se met à taper aussi sur la tête de Lambert. Celui-ci se défend en donnant un coup de pied dans le ventre d'Aimé. A ce moment, Gibeault réussit à le faire basculer en bas des escaliers. Lambert, bien qu'assommé, est encore conscient. Georges Gibeault s'en va chercher le chargeur de son pistolet et, revenant aussitôt, dit à Lambert: «Fumier, des traîtres comme toi, il n'en faut pas». Voyant que Gibeault va tirer, Lambert demande: «Laisse-moi faire une prière pour ma mère». Gibeault tire - probablement deux fois - en direction de l'abdomen. Aimé et lui laissent alors Lambert à même le sol , pensant l'avoir achevé.

Aimé rentre chez lui, 12 rue du Chaudronnier, d'où il ne sort pas pendant plusieurs jours. Quant à Adèle Thebault elle quitte la maison, et après être passée au bar du Temple, part se réfugier chez une tante, Madame Joubert, avenue de Limoges. Georges Gibeault se rend tout de suite chez Louis Michaud, 52 rue Tartifume. Ce dernier constate qu'il a des taches de sang sur lui et qu'il parait quelque peu affolé. Il raconte à Petit Louis ce qui vient de se passer puis part vers un lieu qui n'a pas été identifié. Aussitôt après le départ de Gibeault, Petit Louis se rend rue des Cordeliers. Il met dans sa poche une grenade quadrillée, pour le cas où. Mais voyant que la police et la Sicherheitspolizei sont sur place, il revient immédiatement chez lui et fait partir sa famille à Exireuil, dans une maison appartenant à André Airault.

Pendant ce temps - vers 21 heures 30 - le docteur Henri Laffitte, reçoit, à son bureau du 16 de la rue Barbezière, un coup de téléphone de madame Renault, la tenancière du bar du temple, l'avertissant qu'un blessé s'y trouve et nécessite des soins. Il s'agit de Jean Hoyoux qui souffre terriblement et qui a été amené là par Jeanne Gibeault, aidée sur la fin du parcours par Jeannine Renault, la fille de la patronne du bar. Henri Laffitte s'y rend aussitôt et voit «un homme couché sur le sol, le long du comptoir, respirant difficilement avec deux ou trois personnes debout autour de lui». Il décèle rapidement une plaie à la poitrine nécessitant le transport couché du blessé. Il rentre chez lui immédiatement et téléphone à l'hôpital pour demander qu'une ambulance aille chercher un blessé au bar du Temple et le déposer en salle d'opération, puis en « un lieu sûr et clandestin », ce qui est fait aux environs de 23 heures. Le bureau des entrées explique alors au docteur Laffitte qu'un précédent coup de téléphone a déjà demandé l'envoi d'une ambulance au 29 de la rue Ricard, à la Légion des Volontaires Français, pour un blessé ayant reçu plusieurs balles dans le corps. Il s'agit à l'évidence d'un deuxième blessé.

Le docteur Laffitte téléphone également à son associé, le docteur Suire, qui habite 38 avenue de Paris, en lui disant: « Voilà, une histoire grave chez Gibeault il y a une bagarre entre résistance et Sipo...» Et lui explique ce qu'il sait de l'affaire avant de se diriger vers l'hôpital.

LA TRAQUE


Ce soir là, 21 février 1944, entre 21 heures et 22 heures, Guy Longeau, agent de police, est de faction devant le siège de la LVF situé 29 rue Ricard. Comme il fait froid, il s'est abrité dans le renfoncement d'une porte. Il entend alors un bruit qui peut être celui d'un rideau de fer ou d'un soupirail, sans savoir d'où cela vient. Peu après, il voit déboucher de la rue des Cordeliers un homme sans chaussures qui titube et avance difficilement, courbé en avant. Cet homme traverse la rue Ricard et se dirige vers le siège de la LVF. Il essaye de s'appuyer à une vitrine, les mains en avant, et s'affale sur le trottoir. Il s'agit bien sûr de Lambert qui, outre ses chaussures, a abandonné sa canadienne ensanglantée pour sortir de l'immeuble. Longeau fait tout de suite appel à l'officier de paix Gallé, qui habite de l'autre côté de la rue et n'est pas de service ce soir-là. Ce dernier prévient aussitôt le commissariat de police qui envoie d'autres agents mais les Allemands arrivent presque en même temps que la police française par ailleurs déjà alertée par Pillard, responsable départemental de la LVF, organisme collaborationniste qui se charge de transporter le blessé à l'hôpital,
 
Guy Longeau et plusieurs de ses collègues, dirigés par les Allemands qui paraissent savoir d'où vient l'homme blessé, vont directement devant le magasin Gibeault. Ils font descendre la police française dans la cave de l'immeuble, en passant par le soupirail par lequel Lambert a dû sortir. Les policiers français explorent le sous-sol tandis que les Allemands investissent le rez-de-chaussée. Il est intéressant de noter que le rapport, fait le lendemain matin par Guy Longeau sur ce qui s'est passé, est détruit à la demande express des Allemands, après que celui-ci eût été convoqué au siège de la Sipo en compagnie de Gallais. D'ailleurs, dès 4 heures, des policiers allemands de la Sipo de Poitiers s'emparent de l'affaire en dessaisissant la police française. A leurs yeux, l'affaire est trop grave pour la laisser entre les mains des compatriotes des victimes, fussent-ils policiers de Vichy, Lambert, lui-même, a refusé de répondre eaux questions de la police française.

Les docteurs Laffitte et Suire se retrouvent donc à l'hôpital, où Lambert a également été transporté. Au pavillon Ambroise Paré il est dirigé sur la salle d'opération pour y être opéré par les deux chirurgiens Il s'avère cependant qu'aucun organe essentiel n'est touché, l'épaisse canadienne qu'il porte ayant certainement amorti les coups de feu tirés par Georges Gibeault, et la balle qu'il a reçue de Jean Hoyoux ne paraissant pas l'avoir atteint gravement. En sortant de la salle d'opération, vers 22 heures - 22 heures 30, les deux chirurgiens rencontrent un officier allemand qui leur demande : « Y a t-il d'autres blessés ici?» «Aucun » lui est-il répondu.

L'intervention sur Lambert terminée, le docteur Laffitte rentre chez lui après avoir convenu avec le docteur Suire que, s'ils doivent se rencontrer pour une raison urgente, ils se téléphoneraient en disant: «Venez chercher la presse médicale».

Quant à Jean Hoyoux, il a d'abord été mis, sans intervention, dans une chambre de l'isolement septique du même pavillon Ambroise Paré. Cependant, afin qu'il soit davantage en sûreté, les docteur Suire et Laffitte, en accord avec la supérieure de la communauté des Sœurs de la Sagesse, Mère Louis-Marie de la Providence, le font transporter par deux brancardiers au pavillon Charcot situé presque en face d'Ambroise Paré, de l'autre coté de l'allée centrale. Là, il est confié à la sœur Constance, infirmière de ce service, et placé dans une chambre du premier étage. Le pavillon Charcot est destiné aux malades nerveux ce qui doit permettre de mieux dissimuler le blessé aux recherches de la police. A noter que Rider n'a toujours pas été opéré et qu'il a encore une balle fichée dans la «paroi postérieure de l'hémothorax gauche», balle qui ne lui sera extraite que plus tard par le docteur Suire, ainsi qu'une plaie sur le coté gauche avant de la tête qui «donnait l'impression d'avoir été produite par un coup de matraque»,

Lorsque Georges Gibeault est allé chez Petit Louis, la veille au soir, il lui a signalé que, le lendemain matin, doit arriver par le train de Paris de 5 heures, un courrier porteur de messages pour Jean Hoyoux que celui-ci doit coder et transmettre. Il s'agit d'une jeune fille, d'environ 18 ans, vêtue d'un manteau de fourrure. Le lendemain matin, Louis Michaud va avec sa voiture, une Simca 5. jusqu'à la place Saint Hilaire, puis à pied à la gare. Sur le quai il interpelle, de loin, plusieurs jeunes femmes pouvant correspondre au signalement. Aucune ne répond, sauf l'une d'entre elles qui marque un temps d'arrêt. Petit Louis l'aborde et lui dit : «Il ne faut pas aller chez Gibeault» - «Gibeault, je ne connais pas » lui répond-elle en continuant son chemin. Il faut que Louis Michaud la suive et qu'à la hauteur de l'église Saint Hilaire, lui fasse voir son revolver: «Voilà, comme tu ne m'écoutes pas, je vais être obligé de m'en servir... Ce serait idiot... Je ne suis pas du coté des Allemands, et il ne faut pas aller chez Gibeault ».

C'est seulement à ce moment que la jeune fille le croit. Louis Michaud l'emmène alors au bar tenu par René Gadreau, rue Tartifume, avant qu'elle ne reprenne le train de Paris en fin de matinée.

Ce même matin, jour de Mardi Gras, de bonne heure, le docteur Laffitte téléphone au docteur Suire : «Venez chercher la presse médicale». Suire arrive chez Laffitte vers 7 heures 30 où Il y trouve Jeannine Renaud, fille de la propriétaire du bar du Temple. Le docteur Laffitte indique au docteur Suire qu'il ne lui est pas possible de faire évacuer le blessé, ce à quoi le docteur Suire répond que lui va s'en charger.

Ce dernier se rend alors au domicile de Gustave Souchard, 16 rue René Caillié. Suire lui explique le problème qui se pose: «Faire sortir un blessé de l'hôpi- tal avant que les Allemands le trouve, et le conduire en lien sûr », ajoutant: «Il faut absolument faire évacuer ce blessé: « Gustave, je compte sur vous». Celui-ci accepte la mission qui lui est confiée et le docteur Suire s'en retourne à l'hôpital où il doit être tenu au courant de la suite des événements. Le mot de passe qui est convenu avec la supérieure de l'Hôpital est: «Ici Sipo, nous venons chercher le blessés ».

A coté de chez Gustave Souchard, au 14 de la rue René Caillié, habite Pierre Ferrand qui travaille au service commercial du garage Citroën, 80 avenue Saint Jean. Pierre Ferrand ne fait pas partie d'un réseau, mais Gustave Souchard connaît ses sentiments anti-allemands. En outre, le garage Citroën est chargé de l'entretien d'une partie du parc automobile allemand. Ferrand accepte d'aider à réaliser l'évacuation de Jean Hoyoux et ils se dirigent ensemble vers le garage. Au moment de l'embauche, Ferrand prend contact avec Edmond Bonneau, chef d'équipe des mécaniciens, et avec Émile Wiard, peintre en voiture. Ils s'occupent l'un et l'autre des véhicules allemands. On envisage d'emprunter l'une de ces voitures pour exécuter l'opération. Cependant, les hésitations liées au risque encouru l'emportent.

Gustave Souchard revient alors à l'hôpital tout proche. Il voit les docteurs Laffitte et Suire, devant le bloc opératoire, et leur explique les difficultés qu'il rencontre. Suire indique alors à Souchard que sa demande s'apparente à un ordre.

Une deuxième fois, Gustave Souchard gagne le garage Citroën. Cette fois, il réussit, avec Pierre Ferrand, à convaincre Edmond Bonneau et Émile Wiard de la nécessité absolue de faire sortir le blessé avant qu'il ne soit trouvé et arrêté.

Prétextant auprès du responsable allemand présent au garage - que le personnel appelle Albert et qui est Autrichien - qu'il faut essayer un des véhicules présents, en l'occurrence un véhicule bâché. L'ayant convaincu, Émile Wiard en prend le volant, Edmond Bonneau à ses cotés. Il est prévu que le véhicule entre à l'hôpital par la rue de Navailles où le service médical amènera le blessé afin de le mettre dans la camionnette. Gustave Souchard et Pierre Ferrand doivent arriver à pied, par l'entrée principale de l'avenue Saint Jean, pour se rendre au pavillon Charcot où Jean Hoyoux est toujours sous la garde de la sœur Constance. Comme celui-ci est d'ailleurs passablement agité, on lui a fait une piqûre calmante.

Sur ces entrefaites, la police française arrive à l'hôpital pour rechercher un blessé qu'elle suppose y être dissimulé, et il faut modifier les plans en improvisant un départ précipité. Gustave Souchard et Pierre Ferrand montent à l'arrière de la camionnette, cachés par la bâche, et celle-ci vient se garer devant le pavillon Charcot après avoir pénétré dans l'enceinte hospitalière par la rue de Navailles où les Allemands ont installé leur unité médicale. Comme ils occupent également le pavillon Notre-Dame proche de la grande entrée, il n'est pas anormal de voir circuler un véhicule allemand à l'intérieur de l'hôpital. Edmond Bonneau et Émile Wiard en descendent en laissant tourner le moteur. Ils sont accueillis par la sœur Constance et, comme il n'est plus possible de faire appel à des brancardiers, ils prennent une large planche à repasser sur laquelle ils installent Jean Hoyoux. Hélas, sous son poids celle-ci se brise, et c'est en le portant sur leur bras qu'ils le descendent et le déposent dans la camionnette.

Pendant ce temps, la police française recherche Jean Hoyoux sans le trouver et la Sicherheitspolizei interroge le docteur Laffitte en sa qualité de chef de service. En raison de l'échec des recherches, celui-ci est arrêté en début d'après-midi, après que les Allemands se soient rendu compte que le deuxième blessé est parti à leur insu, et « sous le motif d'avoir soigné un résistant a de ne pas l'avoir immédiatement déclaré à la police comme lui en fait obligation une loi allemande ». Il est conduit aussitôt à la prison de la Pierre Levée à Poitiers. Le docteur Suire, lui, n'est pas inquiété ce jour-là.

Quand Rider est chargé, la camionnette se dirige vers la sortie de l'hôpital située rue de Navailles. Pour atteindre cette sortie il faut traverser le Centre Hospitalier et repasser devant les bâtiments où se trouvent les services sanitaires de l'armée allemande. Là, un militaire se met en tête de monter à l'arrière du véhicule. Pour l'en empêcher, Gustave Souchard lui martèle les mains avec ses talons afin de lui faire lâcher prise. « Nous n'avions même pas une lime à ongle sur nous» dira-t-il plus tard.

Une fois sortie, la camionnette se dirige vers Saint-Liguaire au domicile d'Albert Souchard, père de Gustave, absent de chez lui à ce moment là. Là, le docteur Boyer, gendre d'Albert Souchard, examine le blessé dans la camionnette même. Comme il n'est pas possible de le garder sur place, il est conduit chez Audurier, à la ferme de Chey, client du docteur Boyer. A la vue du véhicule allemand, Audurier qui est en train d'abattre une bête, croit à une descente de la police allemande.

Madame Audurier craignant des représailles pour sa famille, il est convenu que Jean Hoyoux passera la journée caché dans la paille et repartira le soir. Sur ce, la camionnette rentre à Niort, toujours conduite par Émile Wiard, avec Edmond Bonneau, Gustave Souchard et Pierre Ferrand. Edmond Bonneau et Émile Wiard ramènent le véhicule au garage Citroën. Il est aux environs de midi.

Le soir, vers 21 heures, et comme il est convenu, Jean Hoyoux est transféré, avec la camionnette d'André Tesson mareyeur aux halles de Niort, chez Hilaire Chaignon à Vallans qui a accepté de le recevoir. Marcel Papot, qui habite aussi Vallans et Louis Chaignon le veillent toute la nuit.

Le 23 février, le docteur Furget vient faire une piqûre à Jean Hoyoux « qui a une forte fièvre et semblait sur le point de mourir ».   Dans la nuit du 23 février, il est transporté, à l'aide d'un brancard, au domicile de Marcel Papot car la maison de Louis Chaignon est trop exposée du fait de sa situation au bord de la route.

Quelques jours plus tard, le docteur Suire, conduit par Petit Louis et accompagné par le docteur Allard qui appartient à Zéro-France, se rend, de nuit, à la ferme d'Amédée Migault, sur la commune de Frontenay Rohan-Rohan, où se trouvent alors Rider ainsi que Georges et Jeanne Gibeault. Le docteur Suire refait le pansement du blessé et constate l'amélioration de son état général. Une évacuation en avion vers l'Angleterre peut être prévue, Jean Hoyoux étant en mesure de supporter le voyage. Delbo-Phenix se charge de prendre des contacts en ce sens.

Le docteur Suire revient une autre fois, toujours avec Louis Michaud accompagné du docteur Allard, lequel vient d'ailleurs fréquemment au chevet de Rider.

Une dernière fois, toujours de nuit et toujours avec Petit Louis qui y a transporté Jean  Hoyoux, ainsi que Georges et Jeanne Gibeault, le docteur Suire se rend au chevet de Rider, installé cette fois à Douhault, en pleine forêt de l'Hermitain. Et c'est là que, sous anesthésie locale, il enlève enfin la balle que Rider a gardée depuis l'altercation avec Lambert, constatant au passage que, par chance, la plèvre n'a pas été atteinte.

LES DERNIERS JOURS DE DELBO-PHENIX ET DE ZERO-FRANCE


Tout en continuant à diriger son réseau depuis Niort, Jean Depraetere (Georges) a le souci de faire partir vers l'Angleterre Rider, ainsi que Georges Gibeault et De Kinder (Xavier). Ce dernier est chargé par Pierlot de contacter le roi Léopold III à Laeken. Petit Louis est allé le chercher à Paris après l'échec de sa mission et le dissimule d'abord chez lui puis à La Véquière, chez les frères Gaufreteau.

Dans la nuit du 3 au 4 mars 1944, une nouvelle opération de parachutage a lieu à Chaban, Georges ayant jugé que ce terrain demeure relativement sûr, grâce à la proximité des lieux d'hébergement. Par ce parachutage, pour lequel l'équipe au sol est toujours composée de Georges, de Keeper, de Petit Louis, d'André Airault, d'André Bellot et de son fils, arrivent deux radios avec leur matériel. Il s'agit de Joseph Romainville, alias Botte, qui est dirigé très rapidement vers Paris et remis au PCC afin de rejoindre le poste qui lui est assigné, et de Joseph Guillaume, alias Henriot ou Tussore dont la mission est de se mettre au service direct de Georges. Celui ci est aussitôt installé par Petit Louis à la Véquière de Surin, près de Champdeniers, chez Gaston et Jules Gaufreteau où il loge dans une petite maison proche de l'habitation principale. C'est d'un champ voisin qu'il effectue ses liaisons radio avec Londres quand Georges et Petit Louis lui apportent les messages à transmettre,

Mais la pression allemande devient très forte. Elle entraîne l'arrestation des premières personnes qui ont abrité Rider, Georges et Jeanne Gibeault. Ainsi, le 16 mars, Louis Chaignon, Marcel et Ulysse Papot sont pris par la Sipo à Vallans. Le 19 mars, Amédée et Norbert Migault, de Frontenay Rohan-Rohan, Marcel Albert d'Epannes, et le 29 mars, Marcel Dubreuil de Vallans sont interpellés à leur tour. Aucun d'entre eux ne reviendra de déportation.

Déjà, le 12 janvier, Armand Millet, l'un des premiers agents de Delbo-Phénix à Niort, avait été arrêté et conduit à la prison de Fresnes après un passage à la caserne Duguesclin à Niort. Il sera libéré le 10 mars 1944 du siège de la Sipo, avenue Foch à Paris. Ce même 12 janvier, Céline Le Scolan et sa fille Paulette ainsi que Robert Baudet et Émilienne Lebrun sont arrêtés. Lebrun a pu s'enfuir à temps et contacter Delphin Debenest à Poitiers avec qui il continuera à travailler pour le réseau Mousquetaire.

Jean Depraetere continue cependant la mise au point du pick up devant permettre le départ des trois agents, Rider, Georges Gibeault et Xavier. Il est décidé de se servir d'un terrain situé à Ambérac, en Charente, terrain proposé par la Royal Air Force et accepté par Tussore qui la représente. Les instructions relatives à ce départ ont été reçues et Jean Depraetere compte, après cette opération, quitter la région niortaise pour celle de Tours. Dans l'après midi du 11 avril 1944, Georges reçoit les chiffres du départ et se prépare à conduire les trois partants sur le lieu de ramassage. Malheureusement, à 22 heures 30, le départ en annulé et les partants ramenés à l'endroit où ils sont dissimulés, vraisemblablement la ferme de Bois-Pinaud exploitée par la famille Bouchon et située sur la commune de Souvigné.

Le lendemain 12 avril, Jean Depraetere, voulant savoir pourquoi le départ de la veille a été annulé, procède personnellement à une émission radio, ce qui est assez exceptionnel, celle-ci étant habituellement réalisée par son radio Albert Luyckx (Keeper). Le plan d'émission de celui-ci ne prévoit pas de contact ce jour là, mais l'urgence de la situation détermine Georges à passer quand même un message.

Cette émission se déroule vers 12 heures 30 à la ferme Seigné de Sainte Pezenne. Elle est juste terminée quand le cultivateur vient avertir Georges que la maison est cernée par les Allemands. Il a le temps de dissimuler le poste émetteur dans une remise - où Il est d'ailleurs rapidement découvert - avant d'être arrêté par un Allemand en civil. Seigné a, quant à lui, la chance de pouvoir prendre la fuite.

Georges, qui a pu apercevoir une quinzaine de policiers dans la cour et dans la rue ainsi qu'une voiture de repérage gonio, est d'abord interrogé sur place. Les Allemands voulant connaître son code, il en donne un faux afin de gagner un peu de temps. Après cela, conduit rue Alsace Lorraine, il est torturé par les agents de la Sipo qui veulent savoir où il loge et quelles sont ses activités. En le fouillant ils trouvent une lettre qui lui est adressée de Paris à une adresse de Niort, au 25 de la rue du Rempart. N'y ayant rien trouvé, ils redoublent leurs tortures, après avoir arrêté Fernande Fleury qui habite à l'adresse indiquée et fournit parfois des chambres à des agents de passage. Celle-ci sera déportée à Ravensbrück. Les Allemands tiennent une piste qu'ils ne vont évidemment pas lâcher.

Ce même jour, 12 avril 1944, sont aussi arrêtés Georges Bernit, sa femme, qui l'un et l'autre mourront en déportation, ainsi que leur fille. La famille Bernit était entrée tôt en résistance. Elle avait caché Georges Texereau, un communiste ami de la famille qui avait été l'un des tous premiers à se lancer dans l'action clandestine. Après que Texereau soit parti dans le Marais, la famille Bernit passa elle-même à l'action et « cela arriva d'une manière extrêmement naturelle, presque comme une évidence » notamment parce que Georges, le père, travaillait aux Ponts et Chaussées où il côtoyait son voisin, Louis Michaud. Ce dernier avait un jardin mitoyen de celui des Bernit qui permettait de passer discrètement de l'avenue de Paris où logeaient les Bernit à la rue Tartifume où habitaient les Michaud. Leurs domiciles étaient donc des planques parfaites pour Depraetere qui travaillait souvent chez les Bernit à coder ou décoder avec Hoyoux les messages échangés avec Londres. Pendant ce temps, Georges est toujours interrogé et torturé. Il construit une histoire qui, sans mettre trop en cause ses compagnons de réseau, peut Leur permettre de se soustraire aux poursuites grâce au temps qui passe. Vers 17 heures - 17 heures 30, à la faveur d'un relâchement temporaire, il essaie de fausser compagnie à ses interrogateurs. Après les avoir bousculés, il réussir à sortir de l'immeuble de la Sipo et se dirige en courant vers la rue de la Boule d'Or toute proche. Là, il est rejoint par cinq ou six Allemands lancés à sa poursuite et qui tirent des coups de feu dans sa direction. Diminué par les heures d'interrogatoires qu'il vient de subir, il est repris dans la cour du 8 ter de la rue de la Boule for où ses poursuivants, au nombre desquels se trouve un nommé Furst, s'acharnent sur lui à coups de pieds et de crosses de revolver.

Dès l'arrestation de Georges. Petit Louis et Keeper ont caché le matériel qui se trouve à leur domicile respectif, c'est-à-dire 52 rue Tartifume et chez André Bellot à Chaban. Le lendemain, 13 avril, alors que Madame Seigné - née Angélina Faity – est arrêtée à Sainte Pezenne (elle ne reviendra pas de déportation). ils vont prévenir Rider, Georges et Jeanne Gibeault ainsi que Xavier qui se dissimulent dans une ferme des abords de la forêt de l'Hermitain. Ils avertissent aussi Tussore, toujours caché à La Véquière de Surin. Ce même jour, Xavier prend le train pour Paris où il sera arrêté.

Le 15 avril, Keeper, qui a installé son poste à Miauray, petit hameau de la commune de Romans. près de La Crèche, chez la famille Ecalle, entre en relation avec Londres pour avoir des instructions. Il demande à les recevoir lors d'un contact supplémentaire souhaité le lendemain matin à 11 heures. Pendant ce temps, Petit Louis est allé chercher Tussore à La Véquière pour le conduire à Exireuil

Le lendemain, dimanche 16 avril, à 11 heures 20. Keeper vient de terminer son contact avec Londres  et attend Petit Louis qui doit arriver d'Exireuil en bicyclette vers 12 heures. Mais, peu avant son arrivée, Madame Ecalle mère vient avertir Keeper que la Sipo est devant la maison. Celui-ci réussit à s'enfuir alors que la valise renfermant le poste émetteur est emportée par André Ecalle. Mais il est interpellé avant d'avoir pu la dissimuler. A ce même moment, Petit Louis arrive devant chez Ecalle qu'il voit assis sur une chaise, entouré de gens qu'il ne connaît pas. Pour donner le change, il demande s'il n'y a pas de lapins à vendre, mais les Allemands lui tombent dessus aussitôt. En le fouillant, ils trouvent une fiche de poste émetteur oubliée dans une poche et une certaine somme d'argent. En prévision de son repli sur la région de Tours-Orléans, il s'est pourtant séparé de tous ses papiers d'identité et même de son alliance, sauf d'une carte mentionnant son nom et son adresse. Il est alors conduit, par trois Allemands, à son domicile de Niort. Là, alors que deux d'entre eux montent à l'étage pour fouiller, Petit Louis tente de s'enfuir en «tapant au visage» celui qui le garde et en le faisant ainsi tomber. Les autres, alertés par les hurlements de leur collègue, descendent tout de suite et se mettent à tirer sur Petit Louis qui est touché à une jambe. Conduit au siège du SD, il est ensuite envoyé en déportation au camp de Buchenwald.

Ce même 16 avril, le docteur Suire est convoqué au siège de la police allemande d'où il ressort libre après trois quarts d'heure d'entretien avec le commandant Meyer.

Mais le cycle infernal est bien lancé. Le 18 avril, Huguette Moinard est arrêtée par Schultz, de la Sicherheitspolizei de Niort, sur le palier de son appartement au 21 de la rue Basse, à 14 heures, au moment ou elle se prépare à le quitter pour se mettre à l'abri. Conduite 12 rue Alsace-Lorraine elle y voit une haie de militaires armés de mitraillettes. Heureusement, la veille de son arrestation, Petit Louis l'a faite avertir par la fille d'un de ses amis, Maxime Birault, de la vague de répression qui s'abat sur le réseau. Avec l'aide de cette dernière, Huguette Moinard a aussitôt transporté les papiers qu'elle détient ainsi que la machine à écrire au domicile de la famille Birault, 145 rue Saint Gelais.

Le matin de ce même jour. André Bellot est arrêté à sa ferme de Chaban, pendu par les bras sur une échelle et sauvagement battu à coup de harnais en cuir. Lorsque Huguette Moinard est transférée à la caserne Duguesclin, où a lieu le regroupement des résistants, elle le voit gisant à terre, méconnaissable, « comme raccourci »et n'ayant plus forme humaine. C'est également à la caserne Duguesclin, qu'assise sur un banc en face de Jean Depraetere - qu'elle n'est pas censé connaître - celui-ci lui fait part, furtivement, de son inquiétude concernant les papiers, et que, d'un léger geste de dénégation, elle le tranquillise à ce sujet.

Toujours ce même 18 avril, au petit matin, deux groupes de militaires accompagnés de policiers en civil, investissent la ferme de la Gravette et celle de Bourgneuf, sur la commune de Prailles. A La Gravette, ils arrêtent Maxime, André et Louis Fouchier ainsi que Léona Fouchier, et à Bourgneuf, Octave et Marie Nocquet. C'est aussi à Bourgneuf qu'ils arrêtent Rider ainsi que Georges et Jeanne Gibeault, au terme d'une longue traque qui durait depuis le 21 février. Le même jour encore, en début d'après midi, les voitures de la Sipo font irruption dans le village de Magné pour interpeller Maurice Marteau. Ce dernier, absent de sa maison, est intercepté dans le marais où il travaille. Il tente d'abord de ne pas  répondre aux questions qui lui sont posées concernant un poste émetteur qu'il doit détenir. Mais il est contraint de convenir que le poste «Chevalier» est dissimulé sous un tas de foin, chez ses beaux-parents, à leur insu, à la suite de sa confrontation avec Jean Hoyoux. Ce dernier, blanc et visiblement mal en point, soutenu par deux Allemands, manifestement torturé, encore mal remis de ses blessures, a mis la police allemande au courant pour le poste caché chez Maurice Marteau.

Des 12 personnes arrêtées ce 18 avril 1944, seules survivront à la déportation Jean Hoyoux, Marie Nocquet et Maurice Marteau. Quant à Huguette Moinard, elle devra à la désorganisation du trafic ferroviaire de ne pas être transférée en Allemagne à partir du camp de Romainville où elle sera détenue.

Parmi les autres membres des deux réseaux franco-belges, la vague de répression continue: André Tesson est arrêté le 2 mai, le docteur Suire, Albert Souchard -à la place de son fils Gustave- Pierre Chantelauze et René Gadreau le 5 mai et Henri Lambert le 19 juin. Pierre Chantelauze ne reviendra pas des camps de la mort. En outre, Émile et Jeanne Leroux, les parents de Jeanne Gibeault qui ont servis d'agents de liaison malgré leur âge sont arrêtés à Paris et ne rentreront pas, eux non plus, de déportation.

Un peu plus tard, le 27 juillet, huit autres membres de Delbo-Phénix et de Zéro-France, dont certains appartiennent aussi à d'autres organisations, sont arrêtés: Gaston et Jules Gaufreteau, de La Véquière de Surin où Tussore a été caché après son parachutage; Elie Dubois de Thénezay; André Séguéla; Raoul Balliard; Paul Giannesini; Guy Guilloteau, le propriétaire du magasin « La civette»; Armand Miller, ce dernier déjà arrêté puis libéré le 28 juillet; enfin, François Tabard. Gaston Gaufreteau, Guy Guilloteau et André Séguéla ne reviendront pas d'Allemagne, alors que Jules Gaufreteau mourra d'épuisement dix jours après son retour des camps nazis.

Ces arrestations ne sont pas isolées et se situent dans le cadre des vagues de répression qui submergent parfois, mais sans jamais le détruire, l'irréversible élan de la Résistance. Une autre interpellation doit être mentionnée ici, bien que n'étant pas en lien direct avec les autres. C'est celle du docteur Epagneul, survenue le matin du 3 mars 1944, à la suite de la dénonciation dont il est victime de la part d'un individu de Niort, nommé Raoul Cunault qui, la veille au soir, avait exprimé sa satisfaction pour les arrestations opérées par les Allemands, et en particulier celle du docteur Henri Laffitte, ce qui avait conduit le docteur Epagneul à le mettre à la porte de son cabinet.

C'est ainsi que disparaît le Quartier Général et les cellules deux-sévriennes de Delbo-Phénix et de Zéro-France. «Il est visible que la Sipo était depuis longtemps sur (la) piste et connaissait une partie au moins de l'organisation». Cette phrase de Jean Depraetere indique bien que ces réseaux sont particulièrement visés par les Allemands. L'action de ces derniers, relayée par des traîtres comme Lambert, ne peut qu'aboutir à leur destruction.