Les enfants d'Argentière
Au mois d'août 1942, Mme Coet, née Suzanne Amblard, fut le témoin horrifié, à la gare de Drancy-Le Bourget, d'embarquement d'enfants. dans des wagons å bestiaux. Elle se souvient d'avoir manifesté son indignation aux gendarmes français qui exécutaient et surveillaient les opérations. Pour ceux qui ne refusaient pas de regarder ce qui se passait, un tel spectacle était au plus haut point insupportable, même si le destin final de ces personnes n'était pas encore connu.
L'idée lui vint alors qu'il fallait "faire quelque chose", sinon pour empêcher ces événements de se produire, du moins pour soustraire des enfants à ces actions contre nature. Par un jeu de relations, d'abord René Thomas (1) qui était un collaborateur de Louis Jouvet, puis une demoiselle Kaufman, secrétaire au lycée La Fontaine, elle put prendre contact avec des assis- tantes sociales de l'UGIE. Cet organisme, créé par une loi du 29 novembre 1941, avait été suscité par les Allemands pour mieux contrôler la communauté juive de France. Bien que I'UGIF apparaisse comme un organe de transmission et
d'application de la politique antisémite, certains de ses membres étaient conscients de l'utilité qu'il pouvait y avoir à dissimuler des enfants.
Par un ami de son mari, Georges Blasco, dont la mère originaire de Prailles, dans les Deux-Sèvres, habitait Drancy, Mme Coet avait la possibilité d'avoir un point de chute dans ce petit village où ils allaient pour se ravitailler pendant ces périodes de restrictions. Ce fut donc dans le hameau d'Argentières, qui dépendait de la commune de Prailles, qu'elle s'installa dans la deuxième moitié de l'année 1942.
De cette période jusqu'à 1944, Mme Cock, aujourd'hui. Mme Raynaud recueillit 25 a 30 enfants qu'elle put placer dans des termes de celle région de Prailles. Ces enfants, qui venaient de la région parisienne, lui étaient conduits par une demoiselle Georges. Cette dernière les amenait "sans même (lui) demander, quand elle voyait dans quel état ils étaient". Ce nombre de 25 å 30 enfants découle des indications fournies par Mme Raynaud, mais également d'une attestation émanant d'une assistante sociale en poste dans les Deux-Sèvres à l'époque et qui avait connaissance de son activité clandestine. En outre, un document de la WIZO, (Women International Zionist Organisation), du 25 avril 1945 certifie bien que "Mme Coet à Argentières par Prailles (D.S.) a, pendant l'occupation allemande, assumé avec beaucoup de devouement et avec tous les risques que cela comportait, le convoyage et le placement d'enfants juifs à la campagne".
Des 25 à 30 enfants qui avaient été concernés, il a été possible de retrouver 16 noms qui seront rapportés ici, les autres n'ayant pas pu être découverts.
Voici les noms qu'il nous a été donné de retrouver :
L'idée lui vint alors qu'il fallait "faire quelque chose", sinon pour empêcher ces événements de se produire, du moins pour soustraire des enfants à ces actions contre nature. Par un jeu de relations, d'abord René Thomas (1) qui était un collaborateur de Louis Jouvet, puis une demoiselle Kaufman, secrétaire au lycée La Fontaine, elle put prendre contact avec des assis- tantes sociales de l'UGIE. Cet organisme, créé par une loi du 29 novembre 1941, avait été suscité par les Allemands pour mieux contrôler la communauté juive de France. Bien que I'UGIF apparaisse comme un organe de transmission et
d'application de la politique antisémite, certains de ses membres étaient conscients de l'utilité qu'il pouvait y avoir à dissimuler des enfants.
Par un ami de son mari, Georges Blasco, dont la mère originaire de Prailles, dans les Deux-Sèvres, habitait Drancy, Mme Coet avait la possibilité d'avoir un point de chute dans ce petit village où ils allaient pour se ravitailler pendant ces périodes de restrictions. Ce fut donc dans le hameau d'Argentières, qui dépendait de la commune de Prailles, qu'elle s'installa dans la deuxième moitié de l'année 1942.
De cette période jusqu'à 1944, Mme Cock, aujourd'hui. Mme Raynaud recueillit 25 a 30 enfants qu'elle put placer dans des termes de celle région de Prailles. Ces enfants, qui venaient de la région parisienne, lui étaient conduits par une demoiselle Georges. Cette dernière les amenait "sans même (lui) demander, quand elle voyait dans quel état ils étaient". Ce nombre de 25 å 30 enfants découle des indications fournies par Mme Raynaud, mais également d'une attestation émanant d'une assistante sociale en poste dans les Deux-Sèvres à l'époque et qui avait connaissance de son activité clandestine. En outre, un document de la WIZO, (Women International Zionist Organisation), du 25 avril 1945 certifie bien que "Mme Coet à Argentières par Prailles (D.S.) a, pendant l'occupation allemande, assumé avec beaucoup de devouement et avec tous les risques que cela comportait, le convoyage et le placement d'enfants juifs à la campagne".
Des 25 à 30 enfants qui avaient été concernés, il a été possible de retrouver 16 noms qui seront rapportés ici, les autres n'ayant pas pu être découverts.
Voici les noms qu'il nous a été donné de retrouver :
- Léon-Claude et Eliette Coencas
- Samuel et Ginette Jacubowitch
- Rachel Taszydler
- Michel et Denise Neimann
- Claire et Sylvain Tchenio
- Simon Polonski
- - Rachel et Maurice Wiever
- Simon Waintrop
- Jacques Lezlowitz
- Hélène Fajgenbaum
- Alexandre W...
Un autre enfant avait été dissimulé chez des personnes habitant alors le village de Breloux-la-Crèche, à peu de distance de Prailles. Mme Raynaud ne se souvient pas de son nom mais indique que les nourrices qui l'ont recueilli sont décédées peu après la fin de la guerre.
Les habitants d'Argentières se rappellent très bien Mme Raynaud qui était connue sous le nom de "Mme Suzanne" ou de "la Parisienne". Pour subvenir à ses besoins et à ceux des enfants qu'elle hébergeait personnellement, Léon-Claude et Éliette Coencas, Rachel Taszydler, Michel et Denise Neimann, elle travaillait dans une coopérative de panification de Prailles, qui distribuait le pain dans la campagne environnante. Elle conduisait pour cela une charrette tirée par une ânesse, la "bardine", charrette qui servait aussi à transporter du bois, ce qui la mettait en contact avec les gens. Pour nourrir ses enfants, mais aussi son fils Roby et sa mère, les habitants lui fournissaient des chèvres qui procuraient le lait et la viande. Il n'y avait toutefois pas de problème de nourriture et Mme Raynaud peut écrire "J'ai rencontré là une fraternité qui ne s'est jamais démentie. L'honnêteté, la gentillesse et la compréhension m'ont permis ce sauvetage, car (j'étais) sans cartes d'alimentation". A ce sujet, il faut noter que la secrétaire de mairie de cette époque, M Carmen Martin, signale que les tickets des cartes d'alimentation des personnes décédées étaient conservés pour servir à ceux qui pouvaient en avoir besoin. Des cinq enfants qui résidaient chez M Suzanne, seul Léon-Claude Coencas pourra apporter son témoignage. En effet, sa sœur Éliette est décédée, ainsi que Rachel Taszydler. Quant à Michel et Denise Neimann, il n'a pas été possible, à ce jour, de savoir ce qu'ils sont devenus.
Léon-Claude Coencas habitait Paris et vivait, avec sa sœur Eliette, chez sa grand mère maternelle, Signoroux Béhar. Il se souvient qu'il portait l'étoile jaune, mais attachée par une épingle, ce qui était formellement interdit. Cela lui permettait, grâce à la complicité d'un directeur de cinéma, d'aller voir des films malgré la défense faite aux Juifs de fréquenter les salles de spectacles.
Son père, Michel Coencas, possédait plusieurs magasins. Dénoncé par un de ses gérants, il fut arrêté et déporté par le convoi 44 du 9 novembre 1942. Peu de jours avant, Léon- Claude, sa sœur, sa mère, Victoria Coencas, et sa grand-mère avaient aussi été arrêtés par la police française. Conduits à la mairie du XX arrondissement, où le souvenirs de brutalités verbales et psychologiques demeurent présents à sa mémoire, il fut ensuite transféré au camp de Drancy avec toute sa famille. Ils y retrouvèrent son frère, Simon, déjà arrêté.
La grand-mère, de nationalité turque, fut relâchée ainsi que les enfants, de nationalité française, alors que Mme Victoria Coencas, grecque comme son mari, était déportée par le même convoi que ce dernier (convoi 44 du 9.11.42).
Léon-Claude Coencas n'a aucun souvenir de la manière dont il est venu à Argentières. Il se souvient de la vie à la campagne en compagnie de sa sœur Éliette, des vaches qu'il gardait dans les champs - ils n'allaient pas en classe mais "Mme Suzanne" les faisait travailler chez elle - qu'il ne devait pas dire qu'ils étaient juifs, du bois qu'il livrait avec la charrette à âne, enfin de toute une somme d'images qui, dans un contexte pourtant difficile, lui a laissé une impression de vie heureuse.
Denise et Michel Neimann, âgés respectivement d'à peu près douze et cinq ans, avaient aussi été hébergés chez Mme Raynaud. Leur nom de famille avait été modifié de telle manière qu'ils étaient supposés s'appeler Némon. A la suite d'une visite qu'ils avaient reçue, alors que leur nouvelle adresse devait demeurer confidentielle, et afin de les soustraire à un éventuel danger, ils furent déplacés vers un autre village appelé l'Enclave de la Martinière, aujourd'hui Saint- Léger-de-la-Martinière.
Ce fut par l'intermédiaire du pasteur Marc Jospin que M. et Mme Alexis Bouin, qui habitaient au lieu-dit Le Quaireux, acceptèrent la charge d'abriter les enfants Neimann au début de 1944. Le pasteur Jospin leur indiqua que leurs parents avaient été tués en traversant la Seine, mais il ne leur dit rien de l'endroit d'où venaient ces enfants ni de quelle manière ils étaient arrivés en Deux-Sèvres.
Samuel et Ginette Jacubowitch, eux aussi venus de Paris par la même filière, furent placés, toujours par le Pasteur Jospin, dans différentes familles de la région. Ginette Jacubowitch a d'abord été hébergée chez M. René Alligne, à la Carte de Vitré. Son frère, Samuel, dont le prénom avait été changé en "Maurice", fut, quant à lui, recueilli chez les parents de M. Marc Goudeau, toujours à la Carte. Enfin, ils furent l'un et l'autre réunis chez les parents de M. Alexis Bouchet qui habitaient le même village. En dehors du souvenir que ces enfants ont laissé, il ne subsiste de leur passage en Poitou que des photos anciennes prises pendant leur séjour. Sur l'une d'elle on voit « Maurice » jouant au billes dans un chemin du village avec des copains d'alors – sur une autre il est avec sa sœur, et enfin sur une troisième photo, qui fut retrouvée après leur retour à Paris à la fin de l'occupation, figurent leurs parents avec cette simple mention "papa et maman – 21.12.1944". Ces quelques indications permettent de saisir quel fil ténu peut relier une histoire au destin de ceux qui en ont été les acteurs involontaires – mais aussi les victimes.
Enfin, parmi les autres "Enfants d'Argentières", il en est deux qui ont pu être retrouvés et dont l'histoire pourra être conservée pour la mémoire.
Claire et Sylvain Tchenio arrivèrent à Prailles vers les mois de février-mars 1944. Ils étaient originaires de Compiègne où leurs parents étaient commerçants. Jusqu'à cette époque ils avaient vécu dans une certaine quiétude malgré l'absence de leur père, prisonnier de guerre. Sylvain Tchenio se rappelle qu'ils n'avaient pas porté l'Étoile malgré l'obligation qui en était faite. Cependant, au mois de février 1944, ils furent avertis par un cousin, qui tenait l'information d'un commissaire de police français, de l'imminence de leur arrestation par les Allemands. Ils quittèrent alors leur domicile en catastrophe, sans rien emporter. Avec l'aide du Principal du collège de Compiègne, et bien qu'ils aient remarqué sur les murs de la ville des affiches qui promettaient de lourdes peines aux personnes qui abritaient des Juifs, ils purent se cacher quelques jours avant de gagner Paris où une tante les recueillit. Devant cette situation, démunis de cartes d'alimentation et d'argent nécessaire pour acheter de la nourriture au marché noir, leur mère, Mme Tchenio, entra en contact avec l'OSE (Organisation de Secours aux Enfants). Grâce à cet organisme, Claire et Sylvain furent acheminés en train vers le Poitou, "par une dame, elle-même de Prailles", et en compagnie de cinq ou six autres enfants.
Arrivés dans les Deux-Sèvres, c'est à la demande du pasteur Pierre Fouchier, apparenté à leur famille, que M. et Mme Paul Marsault, qui habitaient à Prailles au lieu-dit Côte Pelée, acceptèrent de recevoir Sylvain Tchenio. Sa sœur Claire, d'abord hébergée dans une autre maison, le rejoignit au bout de quelques jours. Mme Lucie Chollet, fille de M. et M Marsault, se souvient parfaitement de leur séjour à Côte Pelée où passaient à la même époque des réfractaires au STO, un jeune qui s'était évadé du camp de Rouillé dans la Vienne, mais également des personnes de Bordeaux et de Paris qui venaient à la recherche de nourriture. Mme Chollet possède encore un petit carnet sur lequel figurent des noms de bordelais à qui étaient envoyés des colis de provisions.
Pour tous ces gens, Claire et Sylvain étaient des cousins de Paris. Pourtant, la vie n'était pas toujours facile, et Lucie Chollet a le souvenir de nuits où elle entendait les enfants pleurer. Par sécurité, ces derniers n'allaient pas à l'école, mais, sur un plan général, la gendarmerie qui avait en charge cette région se montrait discrète.
En contrepoint des souvenirs de Mme Chollet, Sylvain Tchenio conserve en mémoire la qualité humaine vraiment exceptionnelle qu'il a rencontrée chez les Marsault et il n'hésite pas à écrire de cette période de sa vie qu'elle a été à tous égards capitale puisqu'elle a sans conteste préservé et orienté mon existence ultérieure. Les images "de veillée le soir, à plusieurs familles, dans la salle commune – la cheminée rougeoyante et sa grosse marmite suspendue, mais aussi la rencontre conviviale le dimanche dans la maison du pasteur – le cheval dans les champs", son amitié avec un jeune bordelais réfractaire au STO, l'écoute de la BBC, les journées de battage du blé, les courses en carriole à cheval, le baudet du Poitou, tout ceci n'étant qu'une partie d'un monde de souvenirs que Sylvain Tchenio, devenu le Docteur Tchenio, a conservé en lui pour qu'aujourd'hui la mémoire en soit gardée. Ce témoignage atteste bien, s'il en était besoin, l'importance qu'ont pu avoir ces actions d'hébergement et de sauvetage.
A l'initiative de certains des enfants qu'elle a contribué a sauver, Mme Raynaud a reçu, le 11 juillet 1994, la Médaille des Justes décernée par l'Institution de Yad Vashem à Jérusalem.
Les habitants d'Argentières se rappellent très bien Mme Raynaud qui était connue sous le nom de "Mme Suzanne" ou de "la Parisienne". Pour subvenir à ses besoins et à ceux des enfants qu'elle hébergeait personnellement, Léon-Claude et Éliette Coencas, Rachel Taszydler, Michel et Denise Neimann, elle travaillait dans une coopérative de panification de Prailles, qui distribuait le pain dans la campagne environnante. Elle conduisait pour cela une charrette tirée par une ânesse, la "bardine", charrette qui servait aussi à transporter du bois, ce qui la mettait en contact avec les gens. Pour nourrir ses enfants, mais aussi son fils Roby et sa mère, les habitants lui fournissaient des chèvres qui procuraient le lait et la viande. Il n'y avait toutefois pas de problème de nourriture et Mme Raynaud peut écrire "J'ai rencontré là une fraternité qui ne s'est jamais démentie. L'honnêteté, la gentillesse et la compréhension m'ont permis ce sauvetage, car (j'étais) sans cartes d'alimentation". A ce sujet, il faut noter que la secrétaire de mairie de cette époque, M Carmen Martin, signale que les tickets des cartes d'alimentation des personnes décédées étaient conservés pour servir à ceux qui pouvaient en avoir besoin. Des cinq enfants qui résidaient chez M Suzanne, seul Léon-Claude Coencas pourra apporter son témoignage. En effet, sa sœur Éliette est décédée, ainsi que Rachel Taszydler. Quant à Michel et Denise Neimann, il n'a pas été possible, à ce jour, de savoir ce qu'ils sont devenus.
Léon-Claude Coencas habitait Paris et vivait, avec sa sœur Eliette, chez sa grand mère maternelle, Signoroux Béhar. Il se souvient qu'il portait l'étoile jaune, mais attachée par une épingle, ce qui était formellement interdit. Cela lui permettait, grâce à la complicité d'un directeur de cinéma, d'aller voir des films malgré la défense faite aux Juifs de fréquenter les salles de spectacles.
Son père, Michel Coencas, possédait plusieurs magasins. Dénoncé par un de ses gérants, il fut arrêté et déporté par le convoi 44 du 9 novembre 1942. Peu de jours avant, Léon- Claude, sa sœur, sa mère, Victoria Coencas, et sa grand-mère avaient aussi été arrêtés par la police française. Conduits à la mairie du XX arrondissement, où le souvenirs de brutalités verbales et psychologiques demeurent présents à sa mémoire, il fut ensuite transféré au camp de Drancy avec toute sa famille. Ils y retrouvèrent son frère, Simon, déjà arrêté.
La grand-mère, de nationalité turque, fut relâchée ainsi que les enfants, de nationalité française, alors que Mme Victoria Coencas, grecque comme son mari, était déportée par le même convoi que ce dernier (convoi 44 du 9.11.42).
Léon-Claude Coencas n'a aucun souvenir de la manière dont il est venu à Argentières. Il se souvient de la vie à la campagne en compagnie de sa sœur Éliette, des vaches qu'il gardait dans les champs - ils n'allaient pas en classe mais "Mme Suzanne" les faisait travailler chez elle - qu'il ne devait pas dire qu'ils étaient juifs, du bois qu'il livrait avec la charrette à âne, enfin de toute une somme d'images qui, dans un contexte pourtant difficile, lui a laissé une impression de vie heureuse.
Denise et Michel Neimann, âgés respectivement d'à peu près douze et cinq ans, avaient aussi été hébergés chez Mme Raynaud. Leur nom de famille avait été modifié de telle manière qu'ils étaient supposés s'appeler Némon. A la suite d'une visite qu'ils avaient reçue, alors que leur nouvelle adresse devait demeurer confidentielle, et afin de les soustraire à un éventuel danger, ils furent déplacés vers un autre village appelé l'Enclave de la Martinière, aujourd'hui Saint- Léger-de-la-Martinière.
Ce fut par l'intermédiaire du pasteur Marc Jospin que M. et Mme Alexis Bouin, qui habitaient au lieu-dit Le Quaireux, acceptèrent la charge d'abriter les enfants Neimann au début de 1944. Le pasteur Jospin leur indiqua que leurs parents avaient été tués en traversant la Seine, mais il ne leur dit rien de l'endroit d'où venaient ces enfants ni de quelle manière ils étaient arrivés en Deux-Sèvres.
Samuel et Ginette Jacubowitch, eux aussi venus de Paris par la même filière, furent placés, toujours par le Pasteur Jospin, dans différentes familles de la région. Ginette Jacubowitch a d'abord été hébergée chez M. René Alligne, à la Carte de Vitré. Son frère, Samuel, dont le prénom avait été changé en "Maurice", fut, quant à lui, recueilli chez les parents de M. Marc Goudeau, toujours à la Carte. Enfin, ils furent l'un et l'autre réunis chez les parents de M. Alexis Bouchet qui habitaient le même village. En dehors du souvenir que ces enfants ont laissé, il ne subsiste de leur passage en Poitou que des photos anciennes prises pendant leur séjour. Sur l'une d'elle on voit « Maurice » jouant au billes dans un chemin du village avec des copains d'alors – sur une autre il est avec sa sœur, et enfin sur une troisième photo, qui fut retrouvée après leur retour à Paris à la fin de l'occupation, figurent leurs parents avec cette simple mention "papa et maman – 21.12.1944". Ces quelques indications permettent de saisir quel fil ténu peut relier une histoire au destin de ceux qui en ont été les acteurs involontaires – mais aussi les victimes.
Enfin, parmi les autres "Enfants d'Argentières", il en est deux qui ont pu être retrouvés et dont l'histoire pourra être conservée pour la mémoire.
Claire et Sylvain Tchenio arrivèrent à Prailles vers les mois de février-mars 1944. Ils étaient originaires de Compiègne où leurs parents étaient commerçants. Jusqu'à cette époque ils avaient vécu dans une certaine quiétude malgré l'absence de leur père, prisonnier de guerre. Sylvain Tchenio se rappelle qu'ils n'avaient pas porté l'Étoile malgré l'obligation qui en était faite. Cependant, au mois de février 1944, ils furent avertis par un cousin, qui tenait l'information d'un commissaire de police français, de l'imminence de leur arrestation par les Allemands. Ils quittèrent alors leur domicile en catastrophe, sans rien emporter. Avec l'aide du Principal du collège de Compiègne, et bien qu'ils aient remarqué sur les murs de la ville des affiches qui promettaient de lourdes peines aux personnes qui abritaient des Juifs, ils purent se cacher quelques jours avant de gagner Paris où une tante les recueillit. Devant cette situation, démunis de cartes d'alimentation et d'argent nécessaire pour acheter de la nourriture au marché noir, leur mère, Mme Tchenio, entra en contact avec l'OSE (Organisation de Secours aux Enfants). Grâce à cet organisme, Claire et Sylvain furent acheminés en train vers le Poitou, "par une dame, elle-même de Prailles", et en compagnie de cinq ou six autres enfants.
Arrivés dans les Deux-Sèvres, c'est à la demande du pasteur Pierre Fouchier, apparenté à leur famille, que M. et Mme Paul Marsault, qui habitaient à Prailles au lieu-dit Côte Pelée, acceptèrent de recevoir Sylvain Tchenio. Sa sœur Claire, d'abord hébergée dans une autre maison, le rejoignit au bout de quelques jours. Mme Lucie Chollet, fille de M. et M Marsault, se souvient parfaitement de leur séjour à Côte Pelée où passaient à la même époque des réfractaires au STO, un jeune qui s'était évadé du camp de Rouillé dans la Vienne, mais également des personnes de Bordeaux et de Paris qui venaient à la recherche de nourriture. Mme Chollet possède encore un petit carnet sur lequel figurent des noms de bordelais à qui étaient envoyés des colis de provisions.
Pour tous ces gens, Claire et Sylvain étaient des cousins de Paris. Pourtant, la vie n'était pas toujours facile, et Lucie Chollet a le souvenir de nuits où elle entendait les enfants pleurer. Par sécurité, ces derniers n'allaient pas à l'école, mais, sur un plan général, la gendarmerie qui avait en charge cette région se montrait discrète.
En contrepoint des souvenirs de Mme Chollet, Sylvain Tchenio conserve en mémoire la qualité humaine vraiment exceptionnelle qu'il a rencontrée chez les Marsault et il n'hésite pas à écrire de cette période de sa vie qu'elle a été à tous égards capitale puisqu'elle a sans conteste préservé et orienté mon existence ultérieure. Les images "de veillée le soir, à plusieurs familles, dans la salle commune – la cheminée rougeoyante et sa grosse marmite suspendue, mais aussi la rencontre conviviale le dimanche dans la maison du pasteur – le cheval dans les champs", son amitié avec un jeune bordelais réfractaire au STO, l'écoute de la BBC, les journées de battage du blé, les courses en carriole à cheval, le baudet du Poitou, tout ceci n'étant qu'une partie d'un monde de souvenirs que Sylvain Tchenio, devenu le Docteur Tchenio, a conservé en lui pour qu'aujourd'hui la mémoire en soit gardée. Ce témoignage atteste bien, s'il en était besoin, l'importance qu'ont pu avoir ces actions d'hébergement et de sauvetage.
A l'initiative de certains des enfants qu'elle a contribué a sauver, Mme Raynaud a reçu, le 11 juillet 1994, la Médaille des Justes décernée par l'Institution de Yad Vashem à Jérusalem.
1. René Thomas parle du Lycée Molière.
2. Témoignages et entretiens avec Me Suzanne Raynaud née Amblard – 19 septembre 1996, 24 septembre 1996, 26 octobre 1996, 16 et 30 novembre 1996, 6 décembre 1996, dossier Raynaud ex Coet née Amblard Suzanne/Médaille des Justes CDJC/DCCXXXVII, 7. Témoignages de Me Renée Gauthier née Bouin, 18 mai 1995 et 4 octobre 1996. Témoignage de Mme Lucie Chollet née Marsault, 20 septembre 1996, Témoignage de M. Sylvain Tchénio, 8 octobre 1996. Témoignages de M. Marcel Djourno et M. Simon Djourno-Taszydler, 10 novembre 1996 et 21 janvier 1997. Témoignages et entretiens avec M. Léon-Claude Coencas, 13 novembre 1996. Entretiens avec MM. Guy Blasco et Yvon Billeau, 5 décembre 1996. Entretien avec Mhd Carmen Martin née Proust, 16 décembre 1996. Entretien avec Mhe Marie Laurent, 16 avril 1997.-